L'horloge

Ce poème de Charles Baudelaire (Les fleurs du mal, Spleen et Idéal, poème LXXXV), mis en musique par Laurent Boutonnat, évoque la fuite du temps qui nous conduit inexorablement vers la mort.

Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible
Dont le doigt nous menace et nous dit "Souviens-toi !"
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de sa coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accord, pour tout sa saison.

Trois mille six cent fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

Remember ! Souviens-toi, prodigue Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !

Souviens-toi que le temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.
Le jour décroît; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif : la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : "Meurs, vieux lâche ! il est trop tard !"


PAROLES : CHARLES BAUDELAIRE (SPLEEN ET IDÉAL LXXXV)
MUSIQUE : LAURENT BOUTONNAT
©1988